Rencontre matinale -- PV Liberty --

Admin || Esprit de la Pierre

Le matin. C'était le moment de la journée qu'Eirinn préférait, pour toute cette gaieté et cette espérance qu'il portait, pour cette certitude qu'un nouveau jour avait commencé et que la vie continuait. C'était sa manière à elle de compter le temps qui passait : en additionnant les matinées. En ce moment, c'était également le moment qui marquait la fin de sa nuit de travail. Non qu'elle n'en ait besoin : l'Esprit de la Pierre avait vécu suffisamment longtemps pour avoir amassé une véritable fortune et une impressionnante collection d'antiquités qu'elle avait trimballées avec elle à travers le monde entier. Riche à millions, elle tenait pourtant à garder une occupation régulière, pour garder le contact avec la foule des humains qui peuplaient la ville où elle habitait, ceux-là même qui un jour peut-être feraient un vœu à la Crystal Stone. Vœu qu'elle serait tenue d'exaucer...

Alors, chaque nuit, Eirinn plongeait dans la misère et la solitude des bas-fonds, parmi les désespérés et les laissés-pour-compte, pour travailler dans un club de strip-tease. Ce n'était pas glorieux, mais cela ne lui posait guère de problème : au fil des années, elle en était venue à perdre tout sentiment de pudeur. Là, elle pouvait parler avec les autres femmes désabusées qui travaillaient là, avec celles qui vendaient leurs charmes sur le trottoir, avec les drogués et les alcooliques. N'ayant plus besoin de sommeil - un des bienfaits de l'immortalité - elle pouvait passer ses journées à arpenter les rues, ou à lire à la bibliothèque. Sa soif de connaissances était intarissable, et elle parlait un grand nombre de langues. En ce moment, elle s'intéressait à l'astro-physique, et avait donc emprunté le chemin de la grande bibliothèque pour continuer sa lecture, directement après être sortie du travail.

Il était neuf heures du matin, et elle s'arrêta devant un kiosque tenu par Janice, une quinquagénaire qui élevait seule ses trois petits-enfants après la mort de leur mère, sa fille, d'une overdose. Janice était une femme plutôt corpulente, mais toujours aimable et souriante malgré sa vie plus que difficile. Elle avait réussi à trouver un travail dans un restaurant du centre et passait ses journées dans le kiosque extérieur, à vendre boissons et pâtisseries.

- Bonjour Janice. Ca va bien, ce matin ?

Elle écouta en souriant le babillage enthousiaste de la Noire alors qu'elle préparait sa commande habituelle : chocolat crémeux et croissant. Apparemment, la petite Bonnie, huit ans, avait décidé que l'école, c'était trop dur... Eirinn secoua la tête en souriant, attentive aux paroles de Janice : elle savait qu'elle avait besoin d'être écoutée.

- Ne vous en faites pas, Janice. Elle a dû se disputer avec une de ses amies. Ca va lui passer !

Sur ces paroles assorties d'un gentil sourire, elle salua la vendeuse et reprit son chemin vers le puits de sciences municipal. Bonnie était une gentille petite, et deux mille années d'expérience avaient doté Eirinn d'un sens de la psychologie très aiguisé. Janice avait quand même bien du courage d'élever seule ces trois trublions...

Perdue dans ses pensées, la blonde avançait d'un pas tranquille, savourant son croissant jusqu'à la dernière miette, puis huma le parfum du chocolat qui avait tiédi jusqu'à la température idéale dans ce froid matin de janvier, le soleil se levant à peine sur l'horizon. Tellement perdue dans ses pensées qu'elle ne vit pas une autre femme foncer droit vers elle - et percuter son bras tendu, renversant le savoureux breuvage dans le caniveau. Adieu, petit chocolat du matin, adieu, délice des papilles, adieu, création sublime ! Elle se massa le bras, douloureux là où l'inconnue l'avait frappé, et la toisa d'un regard peu amical. Quelle cruche, celle-là ! Ne pouvait-elle pas regarder où elle allait ?

Admin

Une journée comme les autres. Liberty s’était levée de bon matin pour assister à ses cours. Tout cela était devenu une habitude pour elle, presque lassant. A chaque fois, elle pouvait voir cette même impassibilité de la part de ses camarades de Fac qui n’avaient pas envie d’y aller non plus. Certains sentiments restent tout de même indescriptibles et même si elle essayait le plus possible de ne pas utiliser ce don qu’elle possède, parfois, elle ne peut pas s’en empêcher. Après tout, qui pourrait prétendre le faire sans essayer de mentir ? Et ces choses là, Liberty parvenaient bien à les capter. Elle avait appris à le faire tout du moins.

Quand elle jette un coup d’œil à sa montre, il est presque neuf heures. Voilà qu’elle est presque en retard. Ni une, ni deux, après avoir pris sa douche et s’être habillée, elle sort en trombe de son appartement. Même pas le temps d’attendre que l’ascenseur daigne arriver, la jeune femme préfère prendre les marches. Elle ira plus vite et puis, c’est du sport. Sortant de l’immeuble dans lequel elle réside, elle tient ses affaires du matin en-dessous du bras. Elle n’a même pas eu le temps de faire son sac alors qu’hier, elle n’a pas eu cours de la journée. Seulement, Liberty est aussi une élève sérieuse qui peut tout aussi bien passer des heures entières dans la bibliothèque avec son bouquin de droit. Ce serait un peu comme quelqu’un qui aime beaucoup la philosophie ou même la littérature, elle dévore ce livre là. D’ailleurs, elle ne peut même plus dire combien de fois elle l’a lu depuis le temps qu’elle a pris ces études là. Peut-être dix, voire plus. Marchant à vive allure dans la rue, elle sait qu’il ne lui reste plus beaucoup de chemin à faire pour arriver jusqu’à l’université. Seulement voilà, dans ses pensées, elle ne remarque pas qu’une femme est juste devant elle et qu’elle risque de lui foncer dedans si elle ne dérive pas de suite. Et elle ne le fait pas. Le temps qu’elle réagisse, elle peut voir dans le regard de la jeune femme qui se trouve près d’elle qu’elle n’a pas l’air bien heureuse de la voir.

« - Je suis vraiment désolée .. J’allais … »

Peu importe, elle ne va tout de même pas dire à une inconnu qu’elle allait être en retard en cours. Et quand Liberty regarde à sa montre, elle sait d’ors et déjà que ce n’est plus la peine de courir: elle est déjà en retard.

« - Je peux .. Hum .. Vous repayer votre boisson si vous voulez ?! »

Liberty est mal à l’aise. D’autant plus que la jeune femme qui est près d’elle n’a pas une mine qui l’encourage à se sentir apaisée.

Admin || Esprit de la Pierre

La journée commençait mal. Pourtant, le soleil timide et son croissant habituel avaient auguré d'une bonne matinée, mais ne pas pouvoir savourer son chocolat du matin ET avoir été violemment percutée par une inconnue, cela avait gâché toute son allégresse à l'idée d'aller étudier à la bibliothèque, le nez dans les livres, en bonne petite érudite qu'elle était. Et, cerise sur le gâteau : par une inconnue carrément à côté de ses pompes, pour ne rien dire de plus méchant. La malheureuse importune avait l'air ébouriffé du poussin hyperactif, les joues roses de l'étudiante en retard qui court après son bus – son métro – son université si elle y va à pied, et l'œil hagard de la rêveuse brutalement retombée sur terre.

Une illuminée parfaite, donc. Qui venait lui gâcher son petit plaisir du début de journée. Eirinn contempla d'un regard morne la masse mousseuse de son chocolat à présent répandue en une flaque désolante qui s'élargissait en direction du caniveau. Merveilleux...

- Me le repayer ? Vous croyez pas que vous avez fait suffisamment de dégâts pour aujourd'hui ?

Le ton peu amène de l'Esprit aurait rebuté n'importe qui. Eirinn savait se montrer sèche et cassante - avec le métier qu'elle faisait ces jours-ci, elle y était bien obligée. Repousser les autres, se montrer blessante pour les tenir à l'écart et ne pas s'attacher, ne pas souffrir en les voyant vieillir et mourir. Elle en était venue à adopter ce comportement envers chaque personne qu'elle croisait, déterminée à ne pas se laisser avoir par ses faiblesses humaines, par les hurlements suppliants de son âme en peine. Blindant son cœur et brandissant sa raison comme seule loi, elle se coupait entièrement de toute relation humaine, préférant l'étude solitaire à la chaleur d'une quelconque compagnie.

Et voilà qu'une parfaite inconnue venait percuter sa bulle, envoyant valser ses prétentions et ses barrières, en toute innocence et en toute inconséquence. Savait-elle au moins qui elle venait importuner ? Sans doute pas... Bien peu nombreux étaient les habitants de la Nouvelle-Orléans à connaître sa réelle identité. Bien peu nombreux étaient ceux à savoir quel lourd fardeau reposait sur ses épaules... Et cette jeune femme, toute étourdie et confuse, n'en faisait visiblement pas partie.

Repoussant d'un geste ample ses lourdes boucles par-dessus son épaule, elle s'exhorta mentalement à l'indulgence et offrit en guise de réconciliation un sourire vaguement crispé. Ne pas se mettre les inconnus à dos, ça aussi, c'était important... Éviter d'attirer l'attention, ne pas susciter de conflits, et surtout, surtout !Éviter de se faire démasquer. Ne pas faire état de ses deux millénaires d'existence, de sa connaissance approfondie du monde qui l'entourait, ni de sa participation personnelle à quelques grands évènements de l'histoire du monde tels que coups d'états, victoires militaires, ou invention de la bombe nucléaire. Elle avait toujours haï Albert Einstein pour avoir formulé ce vœu et n'avoir eu à sacrifier que l'idée d'une autre invention pour se le voir accorder par la Gardienne de l'époque... Elle pouvait se montrer aimable avec une inconnue maladroite : en comparaison de Hiroshima et Nagasaki, un peu de chocolat renversé, c'était vraiment dérisoire.

- Pardon. Je suis un peu de mauvaise humeur, mais ce n'est rien. Ne vous en faites pas...

Admin

Il n’y a pas à dire, Liberty avait été maladroite sur le coup, voulant à tout pris arriver à temps en cours. Mais de toute manière, c’était presque inutile puisqu’elle aurait été en retard de toutes les manières et son côté un peu rêveuse avait fait en sorte qu’elle bouscule quelqu’un, qui parait de mauvaise humeur en plus. Elle se disait alors que ce ne serait pas la meilleure des journées, qu’elle aurait mieux faire de rester dans son petit studio, dans une des cités de la Nouvelle-Orléans, laissant aux voisins le libre choix de se crier dessus - voire se taper dessus - à longueur de journée. Combien de fois avait-elle voulu partir de là pour aller dans un endroit meilleur, qui serait plus disposé à accueillir une étudiante en droit. En même temps, depuis qu’elle est jeune, depuis ses dix sept ans pour être plus précis, elle n’a pas eu la chance de vivre avec une famille, quelqu’un pour la soutenir, l’aider dans ses choix. Bien qu’elle ait appris à grandir, à vivre seule avec ce qu’elle a toujours vu comme un maléfice - du moins jusqu’à ce qu’elle découvre la vérité - parfois elle se sent seule et regrette un peu le passé, l’époque où la vie avait fait d’elle une petite fille heureuse. Juste cette particularité qui avait pour effet de lui gâcher un peu la vie.

Cependant, elle se fichait pas mal de ce que pouvait penser cette femme juste devant elle, avec un air un peu agressif. Même ses paroles le sont au premier abord et Liberty n’a aucune envie d’être plus sympathique avec elle. Elle s’est excusée. Personne ne peut prétendre que ce genre d’accidents ne lui est jamais arrivé, alors voilà. De plus, elle lui a proposé de lui repayer une nouvelle boisson, elle ne peut malheureusement pas en faire plus pour elle. La jeune femme se met à soupirer, s’imaginant alors toutes les pensées que cette inconnue peut avoir à son égard. Une paumée, une moins que rien ou alors une fille qui ne fait pas grand-chose dans sa vie, alors que justement, elle a toujours eu l’impression de faire beaucoup, de braver beaucoup plus d’étapes que d’autres, ceux qui se plaignent alors qu’ils ont tout à leur portée et que, elle, n’a jamais eu vraiment la chance d’avoir.

Seulement voilà, elle sourit. Liberty pourrait reconnaître même sans ce don, qu’il s’agit d’un sourire crispé, peut-être forcé. Puis, elle lit de l’inquiétude. C’est quand même incroyable ce qu’elle peut voir avec ce pouvoir sans même que les gens ne s’en rendent compte. Elle fit alors mine de rien même si au fond d’elle, elle ne prenait pas ce revirement de situation comme quelque chose de sincère.

« - Ce n’est pas grave. Je suis juste un peu maladroite … »

Finalement, la jeune femme se résout à sourire, le plus sincèrement possible pour ne pas passer pour une personne impolie ou autre.

« - Vous êtes sûre que vous ne voulez pas que je vous en repaie un nouveau ? De toute manière, je suis déjà en retard. »

Admin || Esprit de la Pierre

Un peu maladroite ? Ce n'était pas peu dire. Un peu maladroite, un peu pressée, un peu tête-en-l'air, un peu boulet de canon, et carrément catastrophique. Elle devait faire partie du troupeau d'étudiants que comptait la ville, mélange hétéroclite de bosseurs, de flemmards, de brillants QI et d'intelligences limitées, de sérieux et d'inconséquence, de motivés et de glandeurs, d'acharnés au boulot et de tricheurs. Brassage de toutes les classes sociales, depuis les riches fils à papa qui entraient en médecine grâce aux dons conséquents de la famille depuis des générations, jusqu'aux déshérités qui étaient parvenus à grand-peine à décrocher une bourse pour leurs excellents résultats ou leurs talents sportifs. A en juger par son manque évident de coordination et d'équilibre, l'inconnue ne devait certainement pas en faire partie - ou alors, peut-être de l'équipe de curling, activité étrange qui n'avait de sport que le nom et à laquelle Eirinn n'avait jamais rien compris. Une équipe de mecs équipés de manches à balais, attendant patiemment Dieu seul savait quoi, jusqu'à ce que l'un d'entre eux ne devienne brusquement cinglé et ne se mette à balayer frénétiquement devant un palet surdimensionné. Non vraiment... le curling était une invention sortie tout droit d'un esprit dérangé, voire gravement malade. Eirinn tenta d'imaginer l'inconnue balai en main, en tenue de sport, en train de frotter passionnément le sol devant elle, mais renonça. Ca ne collait pas vraiment.

C'était sans doute une étudiante un peu paresseuse qui s'était un peu trop attardée au fond de son lit, ne tenant pas à quitter la chaleur de sa couette pour le froid glacial qui avait saisi la ville en ce mois de janvier terriblement froid cette année-là. Eirinn avait parfois du mal à se lever également, même si elle, aucun cours ne l'attendait. Elle suivait souvent des conférences en auditrice libre, avait suivi plusieurs fois un cursus entier de droit, était une architecte experte et s'attaquait à présent à la médecine, mais n'avait pas les impératifs horaires des étudiants régulièrement inscrits. Non, son seul horaire imposé, c'était son heure d'embauche au club de strip-tease dans lequel elle dansait pour gagner sa vie... elle commençait à vingt-et-une heures quatre soirs par semaine et sortait souvent au petit matin, les jambes fourbues d'avoir piétiné sur ses talons toute la nuit, mais heureuse d'avoir pu voir les malheureuses qui n'avaient d'autre choix de carrière que ce travail dégradant. Cela faisait bien longtemps qu'Eirinn n'avait plus de problème de pudeur avec son corps, elle n'avait donc aucun complexe à se trémousser sur des tables jusqu'aux petites heures du jour.

Là, elle n'avait qu'une envie, rejoindre la bibliothèque et se plonger dans un livre épais et rébarbatif pour nourri son esprit d'un peu de science. Cependant, l'inconnue avait titillé sa curiosité, et elle décida qu'elle pouvait bien sacrifier un peu de son temps pour faire plus ample connaissance. Avant que sa prudence naturelle ne réfrène cet accès soudain de sociabilité, elle tendit une main amicale à la jeune femme et se présenta, sourire aux lèvres. Il était temps de se montrer un brin aimable et tâcher de rattraper la mauvaise impression qu'elle avait dû produire sur la jeune inconnue - si jeune, seigneur, elle aussi avait eu ce regard innocent autrefois... Eirinn chassa résolument cette pensée parasite - il n'était pas temps de se morfondre sur les années envolées - et reporta son attention sur l'inconnue.

- Eirinn MacAnrai, danseuse au Crazy Ladies. En route pour la Bibliothèque. Et vous êtes... ?